lundi, octobre 16, 2006

La parade (2)

Partir. Je voulais partir vers le wilderness mais je suis parti dans les ténèbres. Celles qui avalent le monde morceaux par morceaux. Emiettant chaque chose molécule après molécule. Comme il ne restait que dix minutes avant la destruction finale des espaces sauvages, j'ai décidé de conserver dix grammes de désert californien dans une petite fiole de cristal. Dix grammes de vieux désert dans une petite fiole bleu comme le ciel, c'était largement suffisant pour se souvenir. Ensuite j'ai pris à gauche, en direction de l'est, le soleil se levait me tracant la route d'or des rois, pour passer de l'autre côté par la petite porte en chêne. Hier j'avais 10 ans. Je me souviens du vieux poivrot qui traînait sur le banc à la peinture blanche écaillée du parc municipal, il avait fait l'Indochine, il gueulait ses histoires (je ne l'ai jamais entendu parler normalement) aux gamins de sa voix à l'odeur de vinasse aigre, comme quoi qu'il avait eu une panthère apprivoisé, dix femmes et toutes les putains d'Hanoï ! Il disait toujours : dans la légion ! Dans la légion ! Nous on pensait que c'était un capitaine corsaire et que la Légion était son bateau. D'ailleurs il avait une jambe de bois. Il nous disait qu'il avait perdu sa jambe alors qu'il chassait le Niakoué à la machette. On pensait que le Niakoué était une sorte d'animal sauvage, nous on savait pas. On savait pas. Ce jour là un scolopendre long comme son bras lui grimpa le long de sa jambe. Il disait que sa jambe était devenu rouge bleu et avait triplé de volume. Les médecins ont fait des tas d'incisions et ils ont retiré des litres et des litres de pus, des dizaines de seaux remplis à ras bord. Il fallait amputer. Ils lui ont donné un coup sec sur la tête pour qu'il dorme et quand il s'est réveillé, son lit était rouge de sang et sa jambe reposait à côté dans un bac. Un niakoué (apprivoisé comme il disait) était en train de découper au hachoir la jambe en morceau avec la précision que l'on doit à la ferveur du travail bien fait. Le Capitaine demanda : tu va en faire quoi de ma jambe face de cul mal torché (c'était bien, avec lui, on apprenait plein d'insultes) ? L'assistant vietnamien répondit dans son accent rapide, haché de boucher oriental : pour les cochons, pour les cochons, pour les cochons, pour les cochons. Puis un après midi le vieux est mort. Mais on ne s'en est pas aperçu tout de suite. Les gens continuaient à promener leurs bambins et à déambuler avec leurs clébards. Les gens n'ont pas fait attention, Il dormait comme d'habitude. Nous on courrait, on jouait au foot. Mais les gens n'ont pas fait attention aux mouches qui grouillaient sur la bouche grande ouvert et sur les yeux. Les gens continuaient à jouer à la pétanque à l'ombre des grands arbres. Nous on continuait à courir. Les pompiers sont venus et ont emmené le cadavre dans une grande bâche en plastique noire. Tout le quartier est venu voir le spectacle gratuit comme pour de vrai. Quand ils ont soulevé le corps une pluie drue d'asticots est tombée entre les lattes du banc. Le vieux a émit un énorme pet de désapprobation qui a résonné dans l'air quand les pompiers l'on plié pour le mettre dans le grand plastique noir (comme un sac poubelle mais en plus épais) , c'était les gaz de décomposition mais nous on savait pas alors on a ris. Un vieux appuyé sur sa canne se sentant concerné par la chose nous dit qu'il ne faut pas rire des morts que ça se faisait pas. Alors nous on a arrêté de rire. On a courut sur l'herbe et on a joué au foot. Les vieux disent toujours qu'on a pas connu leur époque qu'avant quand y avait pas à mangé on jetait les bébé à la rivière pour ne pas avoir une autre bouche à nourrir, on pensait qu'à manger tellement y avait rien. Après les pompiers sont partis et les gens ont recommencé à marcher, parler, s'agiter certains ne sont plus venu et d'autres les ont remplacé et le vieux banc a continué de se désagréger. Aujourd'hui il ne reste que les deux pieds et quelques morceaux de lattes pourries entre les graviers et les herbes folles. On continue à courir, on court dans les catacombes en bas tout en bas. Le serpent passe, trace sa route millénaire, son dos visible ondulant comme une mer d'écailles au dessus de la cime des toits. Nos eucharistie désormais sexuelles et morbides alimentent la grande parade, la rivière charrie des flots de nouveaux nés blafards presque amorphes. Il faut savoir nager quand le flot des évènements vous emporte ou alors vous coulez comme une pierre sans que personne ne s'en aperçoit sauf quand l'odeur de votre cadavre pourrissant finit par déranger le confort des voisins, quand le jus de votre puanteur finit par couler sous la porte et qu'il faut faire un détour pour ne pas glisser sur la flaque. Je ne sais pas combien de bébés ma mère et ma grand mère on emmené à la rivière avant ma naissance. Dix ? Vingt ? Mille ? De toute façon c'est pour ça que les hommes se sont toujours établis près des rivières. Pour se débarrasser des bébés en période de guerre ou de famines. C'est évident. Pour comprendre j'ai appris l'alphabet A B C D E F G H I J K etc... Puis les mots qui définissent toutes les choses du monde. Ensuite j'ai tout oublié pour apprendre par les sens. Quand l'univers sensible me fut connu dans son intégralité, j'ai décidé de me crever les yeux les tympans trancher la langue. C'est le moyen idéal pour voir l'esprit. L'esprit immaculé pur et originel. Puis j'ai quitté l'école car on n'y apprenait rien et je suis descendu jusqu'à la plage pour mater les seins vibrant des femmes. Courtney 16 ans, est venu a moi avec le feu du soleil avant le crépuscule dans les cheveux. On a fait des serments puis nous avons lié nos mains, nos langues nos cheveux nos corps sous la lune. A nous deux nous formions l'être androgyne d'avant la chute. Mais avant ça je montais sur les toits derrière l'orphelinat des filles et je les regardais se déshabiller derrières les fenêtres l'oeil brillant de lubricité reproduisant les rites orgiaques dionysiaques de la Grèce antique à mon petit niveau masturbatoire. Puis je suis descendu à la plage pour écrire des chansons tout en matant les seins des filles en cachant ma concupiscence derrière des lunettes noires. Le soir tombant sur la lumière rouge du soleil j'ai grimpé dans ma voiture, j'ai avalé une fameuse poignée de poison hallucinogène au goût de vomi sec et j'ai pris l'autoroute. L'asphalte ondulait comme le dos d'un reptile noir brillant j'avais du mal à garder les mains sur le volant mou comme de la guimauve. Une fois arrivé au lac primordial entouré de pins millénaires aussi froid et noirs que la nuit, j'ai posé mes vêtements sales et frustes sur un rocher et j'ai plongé dans l'eau glaciale. Je suis descendu à la recherche du fond, dans le silence et la froideur molle de l'eau. Dans ce lac vous pouvez descendre, descendre, descendre vous ne trouverez jamais le fond.

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