samedi, avril 14, 2007

Un entretien avec le docteur Zen

J'aimerai ne pas avoir à choisir entre une image ternie du bonheur (par des conditions de vie artificielles) et une liberté destructrice. Mais tu croyais aux fées ? Oui répondis-je évasivement. Autour des combles poussiéreuses de mon âme il n'y a rien, à peine l'approximation d'un moi satisfaisant pour les autres. En suspens dans l'air notre angoisse du silence; la chaleur de nos corps à travers mon jeans.

On est dans la grande cour, la bonne, celle du côté de la rue, ça veux dire qu'on nous fait suffisamment confiance. On a même l'autorisation de sortir trois heures par jours. on doit participer aux séances de groupe et individuelles, participer aux ateliers artistiques si on en a envie, être à l'heure aux repas et surtout être rentré avant dix-huit heure. Ça nous responsabilise, ils disent. Mary regarde le large bâtiment, anciens abattoirs peints en jaune. Tu crois que c'est pour empêcher les évasions, les barreaux aux fenêtres ? Non y en a pas au rez-de-chaussé, c'est pour les suicides. Elle hoche la tête. Pourquoi ils nous laissent sortir ? Je lui réponds : pour nous responsabiliser; bien qu'en réalité, je sais que, grâce aux pilules ils modifient le champ magnétique de nos ondes cérébrales ce qui leur permet deux choses :

1° savoir chacun de nos gestes en permanence, ils peuvent très bien nous laisser sortir, ils SAVENT où nous mènent chacun de nos pas grâce à leurs capteurs d'ondes delta.

2° Chaque fou en liberté répand une sorte de virus psychique auto-généré a partir de ses névroses et contamine ainsi le reste de l'humanité. Nous sommes leur instrument, nous contaminons les autres avec nos névroses, ce qui justifie de mettre tout le monde sous antidépresseurs et autres anxiolitiques et leur permet d'INCARCERER la population dans une PRISON psycho-chimique. La preuve est simple, ce que l'on appelait Mélancolie* par le passé, (*état supérieur de conscience anté-créatif loué des artistes permettant aux créateurs de puiser aux font de leur âme l'essence de leur génie au sein d'une stase psycho-émotionnelle autistique), s'appelle aujourd'hui DÉPRESSION. Je pense qu'ils cherchent à établir un contrôle total sur notre psyché. Ils répandent le virus et fournissent un pseudo-antidote qui est l'organe chimique de contrôle !

Je touche le dos de la mains de Mary, le contact en est rêche (mais pas désagréable) à cause des scarifications qu'elle s'est faite. J' arrive encore a distinguer, juste en dessous du poignet, Kevin suivit d'un coeur. Ils veulent la mettre en foyer, (foyers qui sont autant de point de dispersion de leur virus psycho-chimique. Elle est l'instrument de leur volonté, sans le savoir elle sera un agent de dispersion viral.

- Je, je dois te dire quelque chose...

Il y a la chaleur d'une main, les sourires dérobés, les oeillades brèves et électriques. Il y a un merle qui siffle sur une branche du platane. Il y a la chaleur du soleil déclinant à l'horizon. Comme un sentiment d'éternité dans ces quelques secondes, voilà ce qui nous plaît dans ces instants fugaces et déjà mort. Et des fois le soleils est trop brillant. J'ai les yeux qui piquent un peu, je n'ai pas cligné des paupières depuis une minute. Je croise son regard (ses yeux habituellement d'un bleu très pale sont plutôt, à cet instant, d'un bleu légèrement azuré, pendant une seconde je pense que la lumière du soir joue sur la couleur de ses yeux... Mais non c'est pas logique il doit s'agir de leur Virus ce qui veut dire que ses ondes delta sont probablement captées et qu'ILS écoutent notre conversation). Heu... Tu sais... J'aime les sandwich de chez LIDL. Surtout ceux au fromage et... elle éclate de rire. Elle s'approche de moi. Son visage est de plus en plus proche. Ses yeux d'un bleu étrange se rapprochent de plus en plus et je me recule précipitamment... Désolé je ne me suis pas lavé les dents ce matin ! Au même moment la sonnerie du réfectoire retentit comme les alarmes dans les vieux films de guerre et je m'enfuie en courant.

Au réfectoire, mon voisin de table, le professeur Hannibal Smith (un enquêteur d'assurance qui se prend pour Albert Einstein) m'explique que la lutte contre le vampire diffère du film d'horreur pur, quand le chasseur est une femme. Il s'agit d'une parabole grossière sur la femme émancipée en devenir qu'est l'adolescente. Le pieux, instrument (de forme phallique) symbolise le pouvoir (jusqu'alors destiné aux hommes) que s'approprient les femmes. Le vampire symbolise le frustré sexuel qui, incapable de bander se trouve dans l'obligation d'utiliser un palliatif (les crocs), qu'il utilise pour son propre plaisir, destructeur pour sa victime. Le but ultime de la tueuse de vampire est de détruit le vieil ordre patriarcal symbolisé par un vampire antédiluvien. Je ne serai pas étonné d'apprendre que le scénario ait été créé par une lesbienne féministe. (la femme de Smith l'a quitté pour une autre femme, une commerciale itinérante spécialisée en sex toys si mes souvenirs sont exacts). Il regarde d'un air maussade les trois salsifis minuscules qui restent au milieu de son assiette, comme des symboles ridicules de son impuissance. Si... Si elle revient je lui pardonne. A la table d'à côté, Joe la branlette se lève en disant qu'il veut ajouter de la sauce béchamelle sur sa viande et sort son sexe au dessus de son assiette, on l'appelle Joe la branlette parce qu'il aime se masturber en regardant les teletubbies. Je crois que c'est l'aspirateur qui sert de nourrice aux quatre peluches qui l'excite, surtout sa trompe aspirante et le bruit de sussions. Mais je ne lui ai jamais demandé. Deux aliénistes musclés viennent se saisir de lui avant qu'il n'ait le temps de répandre joyeusement « sa sauce béchamelle ». A ce moment un autre garde chiourme s'approche de la table et me dit que le Docteur Zen souhaite me parler.

Je suis devant la porte grise du bureau du docteur, au milieu du couloir. Je jette un oeil en direction de la porte qui mène à la cour. Sur la porte je vois une chose que je n'avais jamais remarquée auparavant. Un judas... Comme un oeil juste à ma hauteur. Au dessus de la porte le voyant rouge indique que je dois attendre. J'attends mais je ne peux m'empêcher de regarder a travers le judas. Étrange de placer un judas du côté du couloir. A travers cet oeil, je peux voir le docteur Zen assis derrière son bureau. Il a sur le visage cet air étrange et sérieux qu'il prend quand il écoute ses patients. J'entends un bruit dans le couloir. Comme des griffes sur un parquet. Personne. Je colle de nouveau mon oeil au judas et, je vois une image que mon cerveau ne peut interpréter dans l'intervalle infinitésimal où elle percute la rétine et se transforme en signaux bio-électrique. Mon coeur fait une embardée; en lieu et place du docteur Zen se trouve une sorte de chose géante à la chitine sombre et luisante comme une flaque de pétrole. l'insecte saute par dessus le bureau et saute sur le patient assis en face de lui sans que celui-ci n'ait le temps de réagir et... Une sonnerie sourde et désagréable retentit. Le voyant au dessus de la porte passe au vert. Un bruit électrique se fait entendre au niveau de la clenche. La lumière au dessus de la porte passe du rouge au vert. Derrière son bureau le docteur Zen me regarde à travers ses grosses lunettes d'écaille noire de son oeil sévère, brillant d'une vérité absolue. Il me dit bonjour et me fait signe de m'assoir. Il a cet air de banquier ou de patron qui doit vous annoncer une mauvaise nouvelle. Je m'assois et regarde les tableaux accrochés en vis à vis de chaque côtés de la pièce. Deux tableaux de Pieter Bruegel. A ma droite un tableau figurant la tour de Babel. Une tour s'élevant en cercles concentriques de plus en plus étroits, la construction semble anarchique et tout un pan de l'édifice reste inachevé, le côté présenté au spectateur semble éventré et montre les entrailles de la tour ou des arc-boutants soutiennent ce qui semblent être une tour plus étroite et qui perce déjà les nuages. Autour de la tour et en son sein on voit des hommes qui s'activent tels des fourmis à peine visible à côté du léviathan de pierre. De nos jours l'homme fabrique de tels abstractions architecturales. C'est même ce qui définie les villes les plus modernes, où l'homme parle milles langages mais fabriques les mêmes buildings, formes abstraites se répétant selon des schémas presque identiques. L'autre tableau, la chute d'Icare, montre, au premier un plan, un paysan qui laboure son champs, un berger qui mène son troupeau. Puis le paysage s'ouvre sur la mer et s'étale sur un soleil levant. D'une lumière dorée, d'une violence douce et immuable. Disséminés ci et là, on observes des constructions humaines. Une ville achève la courbe de la côte. Sur une île, une petite fortification. Des bateaux s'éloignent de l'estuaire et s'engagent vers le levant, les voiles gonflées par le vent. Dans le coin droit du tableau, en bas, on aperçoit Icare. Ou plutôt on le devine. Ses deux jambes dépassent de l'eau, quelques plumes flottent. Il vient de chuter. Dans l'indifférence générale, il va se noyer.
- Parlez moi de votre frère, monsieur J.
- Je n'ai pas de frère.
- ha ? Vous avez un frère aîné. Que savez vous de lui ?
- Je... Je n'ai pas de frère, ma mère a fait une fausse-couche, un an avant ma naissance.

Derrière le docteur, une large baie vitrée s'ouvre sur une pelouse, des feuilles mortes s'accumulent au pied de la vitre.

- Oui c'est ce que vous m'avez raconté. Racontez moi encore.
- Tout ce que je sais c'est qu'elle a perdu du sang. Qu'un médecin lui a arraché le fétus à la main dans l'ambulance qui la menait à l'hôpital. Elle a perdu beaucoup de sang et si le médecin n'était pas intervenu elle serait morte. Elle m'a dit qu'elle a vu une sorte de lumière, pour elle c'était un ange.

- Vous croyez aux anges monsieur J., au paradis, à l'enfer ?
- Non.

Un craquement discret, comme des articulations disjointes.

- Vous savez, je suis là pour vous aider.

- Peut-être, oui.
- Votre mère n'a pas fait de fausse couche. Elle a accouché d'un garçon qui s'appelait Éric.
- Vous mentez !
- Vous ne vous souvenez pas ? Un enfant trisomique. Baignant dans cet amour familial dont bénéficient les faibles. Cet amour sucré, collant...
- Non, je n'ai pas de frère.
- Vous savez cet amour tellement dégouttant dans sa disproportion qu'il vous en donnerait la nausée.
- Je n'ai pas de frère, non !
- A l'ombre de cet amour si éclatant,il y a l'autre, le petit frère, petit génie que tout le monde congratule. Un peu trop rapidement, en passant, comme on jette une pièce à un mendiant.

J'ai l'impression que le docteur mange ses mots. Je lève la tête et je crois, un instant, voir des mandibules torves déformer ses joues. Sa langue ressemble à une grosse limace gluante. Je baisse la tête.

- Vous étiez un génie n'est-ce pas ? J'ai sous les yeux un test de Q.I. Que vous aviez fait à l'âge de 10 ans, il indique 210... Oui, il fallait prouver que vous existiez. Et vous travailliez dur pour ça, hein. Avoir une telle intelligence et des résultats aussi probants en classe pour... Rien. A peine une reconnaissance. Comme on jette une pièce à un mendiant.

Un instant le silence emplit la pièce.

- Et puis il a cet après-midi d'été dans la chaleur poussiéreuse de fin de journée. C'était au font de la cour de vos grand-parents, hein ? Le petit muret au font de la cour. Celui sur lequel il ne faut pas monter... Un vieux pan de mur un peu branlant. On aime bien jouer quand on est gosse hein... Vous êtes monté, sur ce muret, comme tant de fois, avec votre frère et comme tant de fois cette idée vous traverse l'esprit. Dans cet esprit si intelligent, une idée bien mauvaise, bien lâche hein... Ce n'est pas que vous détestiez votre frère... Vous l'aimiez même. Peut être bien que vous étiez la personne qui l'aimait le plus. Mais, l'ignorance des adultes à votre égard... et tout ce ressentiment, au font de votre esprit. Comme un nuage noir qui recouvre tout et donne un goût de cendre amer aux choses. Comme une force sombre qui fait trembler vos mains et finalement vous force à pousser votre frère.

- Je ne suis pas ça ! Tout en criant je garde la tête baissée.

- C'était assez haut comme muret pour un gosse de 11 ans. Surtout quand il tombe en arrière. Ça vous a fait quoi quand le sang s'est mis à couler du crane ? Un sentiment de soulagement terrible, hein ? On observe ce soulagement, cet apaisement dégueulasse comme appartenant à une autre personne, n'est-ce pas ? Ce sentiment qui s'écoule comme le sang recouvrant le béton...

La pièce est fermée mais je sens un courant d'air sur mon visage. Un courant d'air un peu poussiéreux, un peu tiède, à l'odeur rance et renfermé, comme celle qu'on imagine dans l'antre d'une bête.

- Je ne suis pas ça...
- Étrangement, ce sentiment ne meurt pas quand il faut courir pour prévenir les parents, et mentir en disant que votre frère tentait d'escalader le mur, que vous l'avez empêché mais qu'il ne vous a pas écouté. Le sentiment reste le même quand il faut faire semblant de pleurer...

La lumière de la baie se voile, comme si quelqu'un venait de tirer un rideau. Je lève la tête. Je vois, comme un voile noir. Puis je vois les nervures qui se ramifient dans toutes directions, dans un schéma complexe, se multipliant à l'infini, à la fois beau et terrifiant. Je comprends. Derrière le bureau, Je vois les ailes membraneuses qui contiennent les fines nervures se déployer dans la totalité de mon champs de vision. Puis les yeux globuleux, noirs, à facettes, brillants, sans expression, sans âme comme tout les yeux d'insecte et le corps noir d'une brillance huileuse comme une flaque de pétrole. Les longues griffes aiguisées et dangereuses comme des scies. La chose saute par dessus le bureau et me renverse sur le sol. Je vois le thorax se contracter selon les rythmes d'une respiration qui n'est pas humaine. Je sens les griffes s'enfoncer dans ma peau. Je ne peux pas me débattre. Sous les griffes, je commence à sentir la moiteur du sang qui perce mes vêtements. Je vois les mandibules se rapprocher de mon visage. Entre les mandibules, des organes de palpations s'agitent. Les griffent se resserrent encore un peu. Je sens les mandibules étrangement froides presser la chaire de mon cou. Une douleur déchirante. Un couinement ridicule que je ne peux pas retenir, s'échappe de ma gorge. Je vois une giclée de sang jaillir et s'étaler sur la tête sombre et inexpressive. Je tente de la repousser de ma main libre, mais je n'ai pas assez de force, mes doigts glissent sur l'hémoglobine et l'étalent un peu plus sur la surface noire. Mes jambes s'agitent dans le vide sans que je ne puisse les contrôler. Juste un réflexe de survie. La chaleur de l'urine, étrangement rassurante, se répand dans mon pantalon et...


Des barrages cèdent dans mon cerveau grâce à une berceuse chantonnée par un type au coin de la rue.