jeudi, novembre 02, 2006

Une petite injection

Le docteur Zen décide de me faire une petite injection. La première fois ça n'avait rien changé, le semi-bond dans le futur avait échoué. Là il a décidé d'agrémenter son cocktail acide gamma hydro butyrique/phencyclidine/chlorhydrate de kétamine/chlorhydrate de fluoxétine d'un truc de son invention. Le genre de truc qui vous dilate les veines comme un ver s'introduisant dans un trou trop étroit, rampant sous votre peau, étendant ses vrilles dans le moindre capillaire, une molécule qui vous agrippe les neurones, s'insinuant dans les axones, comme les racines d'une mauvaise herbe; comme des milliards de micros explosions entre les synapses, fracturant la réalité alentours. Des douleurs tracent leurs sillons acides à travers tout mon corps déphasant mon lien avec le présent, avec le temps et l'espace.

Le visage du docteur se décomposa devant moi comme une pomme pourrissant en quelques secondes. Je cherchai à tirer sur mes liens, mais ne sentis aucune force, ils étaient réduits à l'état de vieilles épluchures grisâtres. Je me levai de mon siège. Les cendres dispersées autour du squelette du docteur s'envolèrent dans un courant d'air indiscernable. Entre ses métacarpes, reposant au milieu de la poussière de rouille de l'aiguille, la seringue se trouvait réduite à un tube de verre piqueté de milliards de trous minuscules comme rongée par l'acide. Une chose arachnide faisait sa toile dans un coin de l'écran plat du pc posé sur la tablette de travail. Une blessure mal cicatrisée sur ma poitrine (que je n'avais jamais remarquée), s'écartait et se resserrait alternativement suivant les battements de mon coeur faible et malade. Le carrelage fendu, brisé et retourné en de nombreux endroit du sol était couvert par du plâtre détaché du plafond, lequel dévoilait son ossature de fer rongé, ses cartilages de bois maintenus en place par un torchis granuleux comme la chair d'un lépreux.
Dans le couloir étroit percé de hautes fenêtres translucides, aux surfaces granitées ne laissant filtrer qu'un peu de lumière, un hululement étrange, lointain, peut être humain, fit vibrer un instant l'air. D'un côté du couloir, il y avait un tas contre une porte à double battant. Un amas de ce qui semblait être du linge sale. Autour de ce tas, trois formes vaguement humaines assises à même le sol fouillait dans cet amas en grognant, l'une d'entre elle en arracha un objet long et blafard comme une racine noueuse et molle. En m'approchant un peu je vis que le tas était un enchevêtrement de bras de jambe, de corps entremêlées d'un gris sale. Le tas de cadavres formait un amoncellement si haut qu'il en bloquait la porte sur laquelle il était appuyé. Les créatures proto-humaines plongeaient avidement leurs mains difformes et griffues dans la masse de chair terne et en tiraient des monceaux qu'elles apportaient à leurs bouches difformes, aux articulations disjointes, aux dents aiguisées comme des bouts de verre ébréché. Le docteur Zen me répétait souvent, comme un mantra à apprendre par coeur, à chacune de ses visites et dans les haut-parleurs installés dans ma cellule : « la condition humaine consiste à réprimer notre nature profonde, celle là même qui nous incite à nous jeter sur nos semblables et à leur briser les os pour en sucer la moelle encore chaude ». Je me dirigeai vers la porte à l'autre extrémité du couloir dont la peinture blanche écaillée révélait la pourriture grisâtre du mur. Dehors, dans la cour recouverte d'un macadam luisant d'une pluie récente, des tas de cadavres étaient assemblés un peu partout comme les tas de feuilles en automne et autour de ces tas, des créatures presque humaines festoyaient. Dans la cours, des humains allaient et venaient par groupes ou solitaires, ils baragouinaient des phrases incompréhensibles, d'autres poussaient des cris simiesques, d'autres encore courraient dans tout les sens fuyant des ennemis invisibles et peut être imaginaires. Un de ces hommes ramassait des dents brillantes sur l'humidité du sol, comme des bijoux de nacre maculés de sang. Il les comptait, dans le creux de sa main, comme on compte sa monnaie et les triait. Il les plaçait dans une de ses poches en fonction de la taille et de la forme de la dent. A côté de lui, plaqué au sol par cinq individus, un homme poussait des cris de goret tandis qu'un sixième lui arrachait les dents en enfonçant une pince épaisse en inox dans sa bouche gonflée, contusionnée et brillante, d'un rouge carmin. Un autre humain se cognait la tête contre un mur de pierres épaisses laissant sur celui-ci une trace circulaire rougeâtre à l'endroit de l'impact. Au pieds de ce mur, un homme au regard halluciné et animal grattait le sol de manière frénétique, comme un chien cherchant son os, s'arrachant les ongles et réduisant les bouts de ses doigts à une pulpe brunâtre de saletés et d'hémoglobine. Le mur de pierres épaisses et grossières ceignait la cour de sa hauteur écrasante, ne laissant presque rien voir de l'extérieur, réduisant l'horizon à une ligne de fers barbelés couronnant son sommet. Le seul élément extérieur visible était un haut et large panneau publicitaire éclairé par des petits spots : un visage de femme aux contours parfaits et équilibrés, à la peau lisse et bronzée, aux yeux verts et brillants, au sourire d'un blanc éclatant. De la base de son cou gracile de déesse jusqu'à la ligne de démarcation de ses poils pubiens, son ventre était ouvert et, autour du vide de l'abdomen, pareil à un tableau abstrait et organique, les organes étaient étalés méthodiquement de part et d'autre de ses flans, chaque parties ayant sa propre fonction dans une composition complexe, équilibrée, où les courbes harmonieuses du gros intestin associées à la masse compliquée des boyaux de l'intestin grêle faisaient le contrepoint aux surfaces lisses et humides du foie et de l'estomac. En dessous de ce tableau un slogan disait : « En vous éventrant le docteur Zen fait de vous une véritable icône de mode, pour des femmes à la forte personnalité, aux styles et à l'attitude uniques ».

4 commentaires:

Anonyme a dit…

je continue d'aimer ce que tu écris, il n'y a pas à dire... kafkaien jusqu'au bout ... avec un zeste de Robin Cook, si tu vois ce que je veux dire ...

A bientôt,

Joulette

Edgar Allan Freaks a dit…

Je ne connais pas Robin Cook, je vais me renseigner

A+

Anonyme a dit…

Finalement, t'es-tu renseigné sur Robin Cook ?

Il écrit des romans policiers mais dans le genre crépusculaire (non pas corpusculaire !) : laboratoires, morgues, virus, coeurs qui "explosent" ...

Bonne suite !

Joulette

Edgar Allan Freaks a dit…

Va falloir que tu me prêtes un de ses livres.Mais je ne te promets rien J'ai déjà deux piles énormes à lire...