mardi, mai 06, 2008

Sous mes ongles (1)

La décrue a pas encore commencé.

Faut que je vois un médecin.


J'aime pas trop le moment de la décrue enfin surtout le début. Y a toujours de la vase qui reste dans le jardin et des poissons crevés qui se sont retrouvés prisonniers dans de petites mares. Des petits trous d'eau qui finissent toujours par s'assécher. Et il a les mouches qui parcourent ces territoires de chair putride et luisant sous le soleil. L'odeur est vraiment atroce, une odeur qui se force un passage a travers vos narines et qui reste collée assez longtemps, poisseuse comme l'odeur de la fosse septique chez mes grands parents, mais plus agressive aussi. Comme la mort qui vous ferait sentir son haleine. Je me suis toujours demandé pourquoi y avait toujours tant de mouches et pas d'asticots. J'me disais qu'elles devaient pas pondre et juste becter vite fait en passant. Pis un jour j'ai retourné un des poissons avec une branche et là j'ai vu un grouillement de vers comme on en imagine pas. Les bestiaux tombaient par grappes entières s'agitant frénétiquement dans tous les sens et se dispersant entre les brins d'herbes qui repoussaient entre les fissures de la vase craquelée sous le soleil. Peut être qu'ils ont peur du soleil ces bestiaux et pis y z'ont peur aussi des bestiaux plus gros qu'eux je suppose. En tout cas ils avaient bouffé tout le flan droit du poisson qui était resté en contact avec la vase.


Mais pour l'instant la décru a pas commencé.


Faut attendre.


Un mois ?


Deux mois peut être ?


En attendant je pose mes lignes. Je les accroche à la poutre qui sert de pilier à la toiture. Pour l'instant elle tient le coup même si l'eau la rend un peu tendre à la base. C'est mon cousin qui m'a appris à poser des lignes de fond. Une ligne assez bien plombée qu'on accrochait aux branches d'un arbre qui poussait le long de la berge et qu'on laissait dériver avec le courant du canal. La ligne faisait dans les cinq mètres avec trois ou quatre hameçons par lignes. On revenait le lendemain pour lever les lignes. Le garde pêche nous a jamais attrapé. Une fois une anguille se tortillait au bout de la ligne. Mais on l'avait pas prise directement. En fait, elle avait gobé un percot qui avait gobé l'asticot au bout de l'hameçon. Je crois que c'était notre plus belle prise avec les lignes dérivantes. Je me rappelle de mon oncle qui, pour la tuer, fut obligé de la prendre à deux mains. Un peu comme on prend une hache et de la « battre » sur un tronc d'arbre plusieurs fois avant qu'elle n'arrête de se tortiller. Ha ça gigote ces bêtes là ! Après il l'a accrochée par la tête à un fil de fer pendu au poteau où on faisait pendre le linge. Il a découpé la peau autour du coup et a tiré dessus. Elle est partie comme un gant !


Je fais comme lui quand je pêche un des poissons.


Je les vois grouiller sous la surface. J'aime pas trop leur gueule mais faut bien manger. Ils ressemblent un peu à des poissons-chats avec un dos brun vert mais sans nageoires et des gros barbillons, ils ondulent et grouillent dans la vase comme un genre de serpent. Y z'ont la peau glaireuse. Une glaire qui colle bien aux mains ! Une vrai saloperie !

J'évite d'aller dans la flotte du jardin, j'ai peur de me faire mordre. Et pis y bouffent quoi ? Ils sont qu'entre eux. Ils se baisent et se bouffent les uns les autres faut croire. Quand j'en pêche un, j'ai toujours la chair de poule. Y a quelque chose de mauvais dans ces poissons. Mais je sais pas quoi. Ils font toujours un bruit bizarre avec leur bouche quand je les sors de l'eau, un peu comme un rot aigu. Et pis faut les préparer vite ou alors ils se décomposent en une heure ou deux. Vite tirer la peau, arracher les boyaux. Les boyaux, je les jettes à l'eau et ils aiment ça les salops ! En quelques secondes y a plus rien.


Quand je vais retirer mes lignes, j'entends toujours un gros plouf au bout du jardin. J'ai jamais pu voire ce que c'était. C'est une grosse bestiole en tout cas. Le genre de truc qui a dû en bouffer des poissons... Le genre de bête qui rechignerait pas à becter un mollet ou même une jambe entière je suis sûr... Ça fait des années que je vis plus au rez-de chaussée. C'est inhabitable. Y a trop d'eau. J'ai installé des passerelles de bois sur des parpaings pour allez un peu partout. Mais des fois y a une qui finit par tomber et là je suis obligé de « me tremper ». J'aime pas réparer les passerelles parce que je suis obligé de descendre dans la flotte et a cause de ces fichus poissons, j'aime pas ça. Je sure qu'ils aiment la chaire fraîche ces bestiaux. Enfin la chair d'homme je veux dire. C'est peut être eux qui font tomber les passerelles exprès. Enfin j'en sais rien en fait.


Ce qui est sur c'est que j'ai toujours la peau des doigts molle et fripée. Comme quand je prenais mon bain dans le temps. Au début des inondations, j'avais même la peau des pieds qui se détachait au niveau des talons comme une peau de tomate bien cuite. A cause de ça, j'ai marché sur la pointe des pieds pendant quinze jours. Mais mon corps s'est adapté maintenant. Ma peau est un peu comme caoutchouteuse et fripée aussi comme je disais. Je suis le dernier du quartier. Pu personne ne veut vivre dans des maisons inondées les trois quart de l'année. Moi je m'y fais et pis j'ai pas envie d'aller ailleurs dans un endroit que je connais pas. Quand je dois allez en ville je prends le vieux bateau gonflable qu'on emmenait en vacances et je rame jusqu'à la limite de la zone inondable. Mais j'aime pas aller en ville. Les gens m'évitent. Je crois que dois laisser une « odeur » derrière moi quand je vois leur tête. Je me lave comme je peux mais je dois sentir un peu la vase et la glaire de poisson pourri. Je m'en fous de toute façon j'aime pas trop parler aux gens. Dans le quartier y a des maisons qui se sont effondrées. Faut dire que dans le quartier les maisons ont plus de 100 ans à l'aise. Même le petit parc au milieu des maisons est inondé, y a comme un îlot au milieu là où poussent les plus vieux arbres. Eux ça à pas l'air de trop les gêner la flotte. En même temps c'est des arbres, y peuvent pas trop se barrer.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Toujours autant de talent...
J'apprécie ta narration au scalpel qui devient de plus en plus effilée.
Au fait tu avais raison pour Kerouac...Une évidence...
Je t'en remercie.
Bonne continuation.
Je repasserais.